Faut-il faire traduire son livre en anglais ?
J’entends souvent parler d’auteurs qui veulent faire traduire leurs livres, surtout en anglais. Mais avant de te lancer, je pense que c’est important de vérifier plusieurs points.
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Loin de moi l’idée de t’en empêcher, tu fais ce que tu veux. J’ai moi-même traduit plusieurs de mes séries en anglais, c’est pour ça qu’aujourd’hui je te donne quatre raisons de ne pas faire traduire ton livre en anglais. Et je t’explique pourquoi il ne faut pas se précipiter sur le marché anglophone tête baissée.
1 – Ça coûte cher
C’est une raison évidente. Tu vas devoir faire traduire ton livre en anglais par un professionnel. Si c’est une série, il va falloir faire traduire la série. Tu vas avancer de grosses sommes d’argent pour faire traduire chaque tome, ou ton one shot.
Ensuite il faudra payer une correctrice de traduction. Quand tu écris ton livre, il y a bien un correcteur qui passe derrière toi. Pour la traduction c’est pareil, il te faudra un correcteur de traduction, puis un relecteur. Et en plus, comme tu ne parles peut-être pas bien la langue ciblée, ce sera difficile pour toi de t’assurer que la trad est de bonne qualité, d’où le correcteur, le relecteur, et potentiellement d’autres lecteurs.
Ensuite, comme tu n’as probablement pas de communauté sur les marchés anglosaxons, ton principal atout pour te démarquer ce sera la publicité Amazon et la publicité Meta (donc Facebook, Instagram), ce qui veut dire encore des dépenses. Donc quand tu calcules ton enveloppe budgétaire, il faut non seulement inclure le coût pour la traduction, la correction et la relecture, mais aussi pour la promotion.
Si tu lances ton livre sans promotion sur ces marchés, bien sûr il y a des exceptions donc je ne vais pas te dire il a 100% de chances de ne pas se vendre, mais il a bien 99% de chances de ne pas se vendre si tu n’inclus pas du budget pour les publicités. Et même en incluant du budget pour les pubs, la concurrence est très rude sur ces marchés, ce qui veut dire que rien ne garantit que tu rentabilises tes frais, même si le marché anglosaxon est beaucoup plus large que le marché francophone.
2 – Ton livre n’a pas eu de succès sur le marché français.
J’ai beaucoup d’auteurs qui m’écrivent en me disant que leur livre ne se vend pas sur le marché français, qu’ils pensent que le marché français n’est pas prêt pour leur livre alors que s’ils avaient publié sur les marchés anglosaxons, ça se serait super bien passé.
Alors, il est vrai que certains genres littéraires sont beaucoup plus prisés au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Mais avant de se dire que le problème, c’est le lectorat, il faut d’abord faire une petite introspection. Je sais que c’est difficile, mais la première chose à faire, c’est quand même de s’interroger sur la qualité du livre publié.
Tes commentaires ne sont pas très bons
As-tu eu des commentaires sur ton livre ? Si oui, sont-ils bons ? S’ils ne le sont pas, a priori aller se faire traduire immédiatement n’est pas une bonne idée. Il vaut mieux analyser les commentaires et retravailler ton livre. Si tu as des commentaires négatifs sur le fond de ton histoire, tu auras les mêmes en anglais. Donc ne fais pas traduire ton livre. Améliore-le, relance-le sur le marché français, et seulement après, en fonction des résultats, tu réfléchiras à le traduire à nouveau. Donc ça, c’est si les commentaires ne sont pas très bons. Ne rejette pas la faute sur le lectorat, réfléchis à ce que tu pourrais améliorer.
Tes commentaires sont excellents
Maintenant si tes commentaires sont excellents, mais tu n’as pas beaucoup vendu et tu penses que tu aurais vendu beaucoup plus chez les anglosaxons. Encore une fois, c’est possible. Il y a des genres littéraires comme la science-fiction militaire, qui fonctionnent bien mieux sur d’autres marchés. Mais avant de te dire « je n’ai pas vendu, c’est la faute du marché, la niche est trop petite en France », il faut se poser plusieurs questions, pour éviter que la même chose se produise sur le marché anglophone, alors que tu auras dépensé plein d’argent dans une traduction.
As-tu été dans le top de ta catégorie sur le marché français ? Si oui, c’est qu’effectivement tu as touché ton public. Si non, c’est que tu n’as pas réussi à toucher ton public en France.
Qu’est-ce qui te fait dire que si tu n’as pas réussi à toucher ton public en France, tu y arriveras sur les marchés anglosaxons ? Parce que si tu n’as pas réussi en France, ça signifie que tu as un souci marketing. Ton livre est bon, mais tu n’as pas réussi par exemple à comprendre les codes au niveau du marketing de ton genre littéraire. Ou à utiliser les divers moyens de promotion.
Et si tu n’as pas su le faire en France, sur un marché que tu connais, avec une langue que tu parles couramment, comment espères-tu t’en sortir sur les marchés étrangers, avec une culture que tu ne connais pas aussi bien ? En plus, le marché anglosaxon des auteurs indépendants est beaucoup plus mature que le nôtre. Ça fait des années qu’ils font ça de manière professionnelle, ils ont des outils à disposition plus vastes que les nôtres pour faire la promo de leurs livres, comme le Kindle Countdown Deal.
Ils maîtrisent les promotions croisées, ils ont des options de bundle, si je dois résumer : quoi qu’il arrive, ils ont plus d’expérience que nous, ne serait-ce que parce qu’ils ont passé plus de temps à utiliser des outils que nous n’avons même pas en France. Aux USA, ils peuvent créer par exemple un compte ACX qui permet de s’autopublier sur Audible. Donc ils peuvent avoir des versions audios de tous leurs livres. C’est un atout formidable.
Donc si en France, tu n’arrives pas à utiliser les outils marketing à notre disposition, tu ne dois pas t’attendre à ce que ce soit plus simple sur les marchés anglosaxons. Oui il y a beaucoup plus d’outils pour assurer ta promotion, mais encore faut-il savoir les utiliser. Et face à toi, tu as une armée d’auteurs qui savent les utiliser. Donc se démarquer n’est pas aussi simple qu’on l’imagine.
Si ton livre n’a pas eu de succès en France, j’essayerais d’abord de me concentrer sur pourquoi il n’en a pas eu, j’essayerais ensuite de faire mieux, que ce soit du point de vue de l’histoire ou du marketing, et seulement après, quand il aura eu du succès, je m’interrogerais pour savoir si ça vaut la peine de le traduire, ou non.
3 – L’anglais est le premier marché ebook d’amazon.
Les USA, c’est le premier pays en termes de ventes d’ebooks pour Amazon. Le Royaume-Uni est le second. Et je sais qu’on se dit que ce sont des arguments pour faire traduire son livre en anglais, mais qui dit marchés énormes, dit concurrence énorme aussi, comme on vient d’en parler.
On a tendance à penser que si on se traduit en anglais c’est génial, parce qu’on va non seulement toucher les gros marchés, mais aussi le marché canadien anglophone, le marché australien et pourquoi pas le marché indien et plein d’autres populations qui n’ont pas forcément beaucoup de livres traduits dans leur langue et qui lisent beaucoup en anglais. Mais déjà pour toucher tous ces marchés, il faudra lancer de la publicité sur tous ces marchés, donc on en revient à ma raison numéro 1 : ça coûte cher.
Et ensuite c’est difficile de se démarquer sur des marchés qui sont 10 à 100 fois plus larges que le marché français, notamment pour les USA et le Royaume-Uni. Alors certes, si tu réussis, c’est le jackpot et tu vas rembourser ta traduction sans aucun problème. Mais tu prends vraiment le risque que ton livre ne décolle pas, en raison du nombre de titres qui sortent tous les jours sur ces marchés.
En revanche il y a d’autres marchés, qui sont aussi des marchés importants, où tu auras plus de facilités à te démarquer, mais ce sera plus difficile de rembourser ta traduction. Je pense aux marchés espagnols et italiens, qui sont plus proches de la taille du marché français. Donc c’est plus facile de se démarquer sur ces marchés et d’être numéro 1 de sa catégorie, mais ce sont aussi des marchés où la rentabilité sera plus difficile à obtenir parce qu’il y a moins de lecteurs, tout simplement, et que ta traduction a un coût fixe de départ qui n’est pas proportionnel au nombre de lecteurs par pays, parce que tu verses une avance conséquente au traducteur.
Je pense aussi au marché allemand, qui lui est le troisième marché ebook mondial d’Amazon, donc un très gros marché. La difficulté du marché allemand c’est que ça coûte très cher de faire traduire son livre en allemand, beaucoup plus cher qu’en anglais, c’est une question d’offres et de demandes. Les traducteurs allemands sont plus rares, donc les prix sont plus élevés, les charges sont aussi très importantes en Allemagne pour les traducteurs.
Mais passons, l’idée est que ça coûte plus cher de se faire traduire en allemand, mais que l’Allemagne est un marché moins large que le marché anglais, c’est aussi un marché qui a les mêmes outils de promotion que le marché francophone et donc se démarquer dessus est a priori plus simple.
4 – Tu as construit ta communauté auprès d’un public francophone.
Tes réseaux sociaux sont en français, toute ta communication est en français, tes fans parlent français. Et même s’ils parlent anglais, ils seront très peu à se dire « oh tiens j’ai lu le livre en français, je vais aussi aller lire la traduction ». Alors c’est un argument basique, tout dépend de ton but, mais si ton but c’est de vendre, ce sera plus facile de vendre un nouveau roman français à ta communauté francophone, que d’aller vendre un roman traduit à une communauté anglophone qui n’a jamais entendu ton nom.
Parce que tu repars de zéro en fait. Tu vas dans un pays où personne ne te connaît, personne n’a entendu parler de ton livre ou de ton nom d’auteur. Et tu dois recommencer à construire une communauté dans ce pays. C’est beaucoup plus difficile de créer une nouvelle communauté dans un nouveau pays, que de maintenir ou de faire grandir une communauté déjà existante dans ton pays. Et ça joue dans les ventes, parce qu’à chaque nouveau livre que tu sors en France, il y a ta communauté derrière toi, peu importe sa taille. Mais dans ces nouveaux pays, tu ne seras pas porté par cette communauté, tu repars de zéro.
Pour résumer :
Donc on a vu quatre raisons :
- ça coûte cher
- si tu le fais parce que tu n’as pas eu de succès en France, il y a des chances que ce ne soit pas un bon argument
- le marché anglophone est hautement concurrentiel
- c’est plus facile de vendre en français à ta communauté francophone
Maintenant, ça ne veut pas dire que tu ne dois pas le faire. J’alerte juste sur le fait qu’il ne faut pas se lancer dans la traduction sur un coup de tête et qu’il faut bien y réfléchir. Parce que j’ai plein d’auteurs qui m’ont écrit pour me dire qu’ils avaient traduire leurs titres en anglais et que c’était un gouffre financier, qu’ils n’en avaient pas vendu et qu’ils étaient à perte sur toute l’histoire. Bien sûr, ce sont des choses qui peuvent arriver, c’est même le plus courant.
Et souvent ces auteurs n’avaient pas fonctionné sur le marché français et pensaient que ça allait mieux se passer sur le marché anglais parce que plus de monde donc plus de ventes. C’est ce que les gens se disent : plus de monde égal plus de ventes. Mais dans les faits, non. Plus de monde c’est plus de concurrence et si tu n’arrives déjà pas à te démarquer sur le marché francophone où la concurrence n’est pas aussi large, je ne pense pas que tu parviendras à te démarquer sur un marché anglophone.
En revanche, si tu as touché ta cible sur le marché francophone, donc je ne dis pas être numéro un de toute la boutique Kindle, même si ça veut dire que tu as touché ta cible, mais je parle juste de ta catégorie, parce qu’il y a des catégories niches dont tu peux être numéro un sans jamais être numéro un de toute la boutique, du fait que ton lectorat est restreint, ça veut dire que tu as réussi à toucher ta cible et là oui, potentiellement tu peux te faire traduire. Mais étudie bien la question avant, vérifie combien ça va te coûter, calcule combien d’exemplaires il faudra vendre pour rentabiliser ta traduction.
Je pense que c’est une super étape de se faire traduire. Déjà ça fait rêver bien sûr, ça met des paillettes dans les yeux, et c’est aussi un moyen de s’appuyer sur un livre que tu as déjà écrit et d’aller conquérir un nouveau public avec. Donc plutôt que d’utiliser ton temps pour produire un nouveau livre et générer des revenus, tu investis de l’argent pour aller générer plus de revenus. Tu t’appuies sur quelque chose que tu as déjà produit et qui n’est pas lié à ton temps. Et ça c’est important.
Mais je tiens à appuyer sur le fait que c’est risqué, qu’il faut bien réfléchir sur quel marché tu veux t’implanter, quels sont tes objectifs et bien sûr, je pense qu’il faut se faire accompagner par ton traducteur s’il veut bien, ou un community manager, quelqu’un de natif, qui vit dans le pays et qui lit et achète sur Amazon, et à qui tu pourras poser toutes questions.
Parce que pour faire de la publicité, il faut des mots-clés. Pour mettre à jour les catégories de ton livre, il faut savoir lire les catégories. Alors en anglais je pense que ce n’est pas très problématique, mais en allemand par exemple ? Il te faut quelqu’un pour te donner les mots-clés allemands. Et au-delà d’un simple problème de traduction et de vocabulaire, il y a la culture aussi. Il faut prendre le temps d’observer les couvertures du pays ciblé dans les catégories Amazon que tu vises.
Peut-être que l’illustration est à la mode pour ta catégorie dans ce pays-là, alors que ça ne l’est pas en France. Ça veut dire refaire une couverture. Peut-être que ton titre traduit dans la langue ciblée, a déjà été utilisé par un blockbuster dans le pays et que quand les gens chercheront ton titre, ils tomberont sur ce bestseller qui est passé avant toi, et pas sur le tien, ce qui va nuire à ton référencement. Il y a quantités de choses à réfléchir et c’est une super aventure vraiment, je ne cherche pas à te dégoûter.
Moi je trouve ça génial, on touche à tout, on s’entoure de personnes polyvalentes pour nous aider à bien cerner les différents marchés. Par exemple aux USA, ils utilisent énormément Goodreads pour les chroniques de livres, alors qu’en France c’est plutôt Booknode. Ça tu ne le sais pas si tu n’es pas imprégné de la culture du livre là-bas.
Et puis si tu as besoin de trouver des chroniqueuses, comment tu fais si tu ne parles pas la langue du pays ciblé ? Il y a plein de problématiques hyper intéressantes, et bien sûr j’en reparlerai avec plaisir plus en détails cette fois en te donnant des conseils pour bien réussir ta traduction et ta promotion à l’étranger.
Mais ce que je voulais vraiment qu’on voit aujourd’hui c’est le fait de bien mesurer le risque financier de se faire traduire. De bien comprendre aussi que ça demande du temps, de l’énergie et de la réflexion. Tu ne vas pas juste cliquer sur le bouton publier, il va falloir assurer la promotion. Et je pense qu’il ne faut pas se lancer dans la traduction si on n’a pas déjà réussi à conquérir son propre marché.
Mais comme d’habitude, ce n’est que mon avis, je ne détiens pas les clés de la vérité universelle. En plus je parle pour un cas général, il y a toujours des exceptions. Et comme tu le sais j’adore faire des expériences donc je te reparlerai prochainement de ce qu’on a fait de notre côté pour les différents marchés sur lesquels on a tenté notre chance avec mes livres : donc les marchés italien, américain, anglais et allemands.